La mince pellicule qui s’accumule sur ce comptoir n’a qu’un nom : espoir de boire. Elle grossit jour après jour, toujours plus dense, toujours plus gluante, à te greffer les coudes au bar, du lundi au samedi. La ville ne s’étend plus de là à là : la ville meurt et renait ici, le long d’un comptoir en bois mal verni où se brisent les rires et les grandes phrases contre des verres de vin vraiment de pays.
La majorité des hommes n’ont qu’une double vie, celle d’avant et celle d’après le bar. Celle d’avant est peuplée de fantômes toujours trop bruyants, trop contraignants, trop sérieux. Celle d’après apporte grâce et allégresse, aucun vindicte ne viendra troubler l’heure sacrée de l’apéro où les esprits se détachent enfin du sol.
Il n’y a plus d’obstacles dans ta vie d’après : les gens pétillent d’envie d’en savoir plus sur toi et ta jovialité est en pleine ascension. Ni mère ni dieu ne t’ont vu comme çà. Les hommes arrivés au virage des 40 s’entrechoquent avec leur congénères arrivés à l’impasse des 50, ces derniers font un peu plus la gueule. Chaque soir ton gosier réclame sa part de vice, son moment intime, sa pénétration avec glaçons. Le voilà qui roucoule de plaisir sous les compliments et les drôles de blague qui animent un lieu si commun.
