J’ai des herbes dans le nez qui me picorent il fait frais ici, en haut de la colline.
Dans mes tiroirs j’ai retrouvé une vieille couverture de Lui avec une interview de Miller.
Lui était un très bon magazine à l’époque. Il y avait des interviews et des articles vraiment hors du commun (je te vois sourire, quel dommage) Celui là est fascinant et rare je pense, on n’écrirait plus ce genre de choses maintenant, juste à côté de photos édulcorées de fesses.
La collection de Lui de mon père était, elle aussi, hors norme.
Il les lisait devant moi, dans le jardin, en fumant ses gitanes. Je devais avoir 6 ans. Je ne regardais pas le journal, même pas les pages avec de la chair (c’est venu plus tard) je regardais mon père regarder ce journal. Ça me fascinait. Sa barbe, son look dandy cool et ses grosses lèvres charnues qui pinçaient le mégot.
Je le dévisageais des pieds à la tête, ses cicatrices sur la joue, ses bras tendus et secs, ses cuisses et ses pieds en éventail. Je sentais son parfum, doux et sucré (fatal). J’apprenais ses mouvements, ses gestes, ses mimiques, ses mots, son silence. Par exemple mettre ses deux doigts tendus le long de la tempe, ou bien la fumée qui s’échappait de sa bouche avec une étrange volupté. Il ne me disait rien mais on communiquait comme ça.
Homme à femmes. Ma mère l’a connu, lui et son gang de copains rock’n’roll sixties, à la descente d’un avion. Il portait un chapeau et un foulard. Des lunettes carrées et des bottines. Une grosse ceinture. Son carnet d’adresses de l’époque était rempli de presque trois cent jolis prénoms. Je l’ai feuilleté 15 ans plus tard. Il m’a dit avec un sourire de loup vorace :
– C’est pour toi. Elles ont sûrement des filles de ton âge. Si jamais tu te sens seul.
Il était sur moi tout le temps. Ma bible, mon ascenseur. J’imaginais les échanges, les voix les visages les corps de femmes qui lui donnaient un numéro, une adresse. Berlin, Zurich, Milan. Putain de baiseur tout le temps en vadrouille. Le cauchemar d’une mère, la pute de ces dames, la drogue d’un fils.
Mais tout ça est faux. Mon père portait bien de belles chemises, avait bien un carnet d’adresses de femmes plus rempli que le mien (et le tien avec aussi) mais ne m’écoutait pas, ne me regardait pas, ne m’apprenait pas et finalement ne m’aimait pas. Il ne m’a laissé ni ses yeux bleus translucides ni son gros sexe (elles te disent merci papa…) juste son appétit et son je je-m’en-foutisme aigu.
Homme à femme, pas homme à fils.
